lundi 19 décembre 2016

Éthique, citoyenneté et TIC : Contribution au symposium du Mawlid 2016, Tivaouane le 10 décembre 2016

L’éthique et la citoyenneté et l’heure des TIC et de la cyberculture 

       Le vocable éthique est complexe et lourd de sens selon qu’on l’aborde sous l’angle philosophique, économique, politique ou même religieux. La citoyenneté, quant à elle, est souvent déterminée par l’histoire et la géographie (l’espace et le temps) mais surtout par l’attachement aux valeurs d’une communauté d’individus qui partagent un même territoire. L’éthique et la citoyenneté, se fondent sur des valeurs fondamentales (civilisation, Lois, morale, culture, mœurs, religion…) en même temps qu’elles s’ouvrent aujourd’hui à d’autres paradigmes tels que la mondialisation, la globalisation, l’universalité mais également, les TIC et la cyberculture. 

L’éthique vise à répondre à la question « Comment bien agir ? ». Or, l’action ne se réalise qu’à travers un espace (physique ou virtuel) et une temporalité que les citoyens d’un même univers partagent. Cet espace bien souvent appelé cité (au sens générique du terme) est peuplé par des individus désignés sous l’appellation de citoyens. Être citoyen c’est alors avoir des convictions mais surtout partager des valeurs, accepter de se conformer aux règles et normes d’une communauté ou d’une société qui en retour vous garantit une sécurité et un bien-être. Être citoyen, c’est aussi accepter, par éthique ou par contrainte de renoncer à une parcelle de liberté pour pouvoir vivre avec les autres. En d’autres termes, c’est adhérer au commun vouloir vivre ensemble ! La citoyenneté exige alors un don de soi, un respect des valeurs républicaines et du « bien commun » (maison, village, quartier, ville, pays et même l’espace public numérique). Être citoyen, c’est aussi et surtout respecter et aimer son pays. « Khoutboul watane minal imane ». Aimer son pays est un acte de foi. 

C’est donc l’éthique qui mène à l’humanité et qui guide aussi la citoyenneté. Selon un éminent juriste, citoyen sénégalais, non moins talibé de Cheikh Elhadji Abdou Aziz Sy, je veux citer le juge Kéba Mbaye , « L’éthique devrait être adoptée par notre pays comme la mesure de toute chose car, accompagnant le travail, elle est la condition sine qua non de la paix sociale, de l’harmonie nationale, de la solidarité et du développement. » malheureusement dit-il « il arrive très souvent que nous empruntions un autre chemin que celui que nos anciens avaient choisi ; Eux avaient choisi le chemin de la foi, de la dignité, de l’honneur, du courage, de l’honnêteté, de l’humilité, de la tempérance, de la droiture, du respect d’autrui et du bien commun, du travail, de l’endurance et de l’amour de la nation. » (Kéba Mbaye, 2005)
Je viens de citer le talibé Kéba Mbaye mais nous avons tous à l’esprit le Maître qui a consacré toute sa vie à l’enseignement de la science et de la religion tout en étant lui-même l’incarnation de tout le bien qu’il enseigne. Alors, si je devais me risquer à une définition de l’éthique, je dirais tout simplement que Serigne Abdoul Aziz Sy en est une parfaite illustration, m’en tenir là, écouter son savoir et admirer sa sagesse et sa simplicité. 

Pourquoi lui ? Parce que nous faisons partie de la génération d’après Serigne Babacar (khaleyi dioudou thi Guinaw Mbaye) et que c’est lui Dabakh que nous avons eu la chance de connaitre. Mais aussi ses dignes héritiers Cheikh Seydil Mansour Borom Daradji, Cheikh Ahmeth Tidiane al Maktoum et Serigne Abdoul Aziz Al Amin qui nous ont tous enseigné la science et la religion mais surtout des valeurs qui façonnent un bon musulman et tout simplement un bon citoyen. 

En réalité, tous les grands soufis du Sénégal et d’ailleurs ont enseigné à la fois l’éthique philosophique et l’éthique appliquée. L’éthique philosophique doit nous mener à comprendre le sens de notre existence sur terre, notre double mission de serviteur et de Représentant de Dieu sur terre. Mission de serviteur, en ce que nous sommes (Ibad Allah), notre principale mission consiste à adorer Dieu « Wa ma khalakhtou inse wal Djin illa liyakhboudouni », « je n’ai créé les djinns et les hommes que pour qu’ils m’adorent » (Coran, 51.56)), mais aussi mission de Représentation en ce sens que nous sommes tous descendant d’Adan que Dieu avait désigné comme Khalif « Inni diakhiloun fil ardi khalifane » (Coran, 2.30). Nous sommes aujourd’hui les héritiers d’Adan, par conséquent les Khalifa de Dieu sur terre et Dieu créa l'homme à son image (Genèse 1 :27) c’est-à-dire lui a doté d’une intelligence. 

Mais le « khilâfa » implique, pour l'être humain, la possibilité non seulement de pouvoir décider de ses actions « Al ikhtiyâr » mais aussi celle d'agir sur ce qui l'entoure « at-tassarruf fil-kawn » . Être Khalif c’est donc une lourde responsabilité, qui implique à la fois de l’éthique, de la morale et de la citoyenneté puisque qu’un « messager » porte en quelque sorte les « attributs » de son mandant… Ce fardeau est peut-être trop lourd pour nous autres, simples mortels. 

Pour nous rappeler donc cette double mission de serviteur et de représentant, Dieu a mis en place un Ministère bien structuré à la tête duquel nous avons le prophète Mouhamed Salahou aleyhi Wa salam qui dit n’avoir laissé derrière lui que deux choses « Le coran et la sunnah » tout en rappelant que si nous les suivons, jamais nous ne nous égarerons. Les enseignements du prophète guident, ou devraient guider nos actions de tous les jours, afin que nous puissions accomplir notre mission « adorer Dieu », renoncer aux vénalités et à la mondanité pour nous consacrer à Dieu « mourir avant que la mort n’arrive » comme disait Cheikh Ibrahim dit Baye Niasse. 

Pour nous aider donc à supporter le fardeau du « Khilafa », Dieu nous envoya quelques guides, de grands soufis qui nous ont tracé des chemins « Tarikh » qui mènent vers lui et à lui. Mais retourner vers Dieu c’est d’abord le connaitre. Oui ! C’est la connaissance, qui mène à la sagesse et à l’éthique, c’est la connaissance qui guide la citoyenneté et c’est aussi la connaissance qui mène au développement. 

C’est ainsi que Cheikh Ahmeth Bamba, khadimou Rassoul, ayant compris qu’on ne peut pas adorer Dieu dans l’ignorance, nous apprit dans son ouvrage destiné aux jeunes, le Viatique de la jeunesse, « Ô vous la génération des jeunes ! Si vous redoutez la honte, faites précéder l’action de la science ». Cheikh al Ibrahima dit Baye Niasse a juré sur sa vie dans Rouhoul Adab que « la connaissance est le guide de toutes les actions, comme cela a été rapporté par Ta-ha, le meilleur de tous les prophètes. »

Cheikh Seydi il hadji Malick, toute sa vie durant n’a fait que construire des « Zawiya », enseigner et incarner la connaissance et la bonne moralité ce que Imam Ghazali désigne sous l’appellation d’« Al khoulouq al hassan » qui constitue selon lui la finalité de l’islam et de la mission de notre prophète. 

Voilà le chemin qui mène à l’éthique. 

Il me faut à présent, arrêter de m’aventurer dans ce sentier à la fois glissant et sinueux pour moi, le laisser aux érudits, ici présents. M’éloigner de ce que je ne sais pas, pour parler un peu de ce que je crois savoir c’est-à-dire, tenter d’analyser l’éthique et la citoyenneté à travers le prisme des TIC et de la cyberculture. 

Selon Osiris(www.Osiris.sn) , le Sénégal compte 8 143 086 abonnés à l’Internet et 15 765 524 abonnés à la téléphonie mobile (plus d’abonnées que de citoyens sénégalais) parce que tous les abonnés ne sont pas sénégalais et certains sénégalais ont 2 à trois abonnements. Le Sénégal compte par ailleurs plus de 2 300 000 utilisateurs de Facebook (internetworldstat, juin 2016). C’est dire ô combien les TIC font désormais partie de notre quotidien et peuvent bien changer notre être et nos rapports sociaux.

 L’omniprésence des TIC, suscite chez les citoyens un changement de comportement, une nouvelle façon d’être et de faire qui font penser à une nouvelle forme de culture désigné sous le vocable de « cyberculture ». Cette cyberculture est marquée par cette certaines pratiques qui n’honorent pas le « Khalif » que nous sommes sensés être. Je veux parler de la cybercriminalité, du fichage, de l’enregistrement, de la dénonciation et la diffamation, du libertinage et de l’arnaque en ligne. Toutes choses qui s’éloignent de l’éthique, de la morale et de la citoyenneté. 

Je m’appelle Moustapha à l’état civil, Mouhamed Moustapha sur Facebook, @tapha sur Twiter. Je suis également un numéro de téléphone, un numéro de matricule au travail, un numéro de patient à l’hôpital, un numéro de « sécu » en France et un « Codice fiscale » en Italie…autant d’identifiants pour désigner un seul individu. C’est bien cela le propre de la cyberculture. Nous sommes tous aujourd’hui des fichiers mouvants, nos moindres faits et gestes laissent des traces, parfois utilisées pour nous nuire. Les TIC, nous offrent aujourd’hui, la possibilité de démultiplier nos identités, de pouvoir utiliser dans nos interactions, tantôt notre identité de nature, parfois une identité de couverture et hélas pour certains, une identité de forfaiture. Ceci explique dans nos sociétés, le développement de certaines pratiques telles que les enregistrements, la dénonciation, la diffamation, et les arnaques en ligne sous le couvert de l’anonymat et d’une identité de forfaiture qu’on fait disparaitre une fois le mal commis sans aucune considération par rapport à l’éthique et la morale. 

Par ailleurs, l'éthique, et la citoyenneté se heurtent aujourd’hui à des contenus culturels et idéologiques venus d’ailleurs, qui pervertissent de jeunes innocents, pour ne pas dire de jeunes musulmans, les poussant parfois à la désobéissance, à la sédition et au terrorisme. Mame Abdou Dabakh leur aurait dit : NON ! Il leur a dit : «Ô vous les jeunes musulmans, marquez avec nous un arrêt, ne serait-ce qu’un seul instant, un arrêt de méditation et de prise de conscience de tous les dangers qui nous assaillent de toutes les embûches qu’on intrigue pour entraver votre parcours islamique, vos illuminations, vos aspirations futures et vos ambitions qui annoncent l’avenir resplendissant de lumière et d’espoir » . (Diwaan TIII, 2016, p.584). 

Alors, chaque fois que l’envie nous prend de mal agir, ne pensons pas aux caméras de la ville qui nous observent mais sentons plutôt l'œil invisible et la présence de Dieu qui nous regarde et qui nous jugera. 

Mais tout n’est heureusement pas négatif, bien au contraire la cyberculture c’est aussi la culture de l’échange et du partage celle qui facilite la rencontre entre des individus d’origines et de cultures diverses. L’espace n’est plus géographique et le temps n’est plus linéaire. Ils nous renvoient au temps et à l’espace d’Ali Imrane (Coran 3.190), le temps des signes, le temps de la connaissance, le temps des intelligences et de l’intelligence collective, pour les gens doués de raisons (Oulil Albab). 

Les TIC peuvent alors contribuer à la formation des esprits, au partage de la connaissance qui mène à la sagesse. Elles peuvent aussi contribuer au développement d’une « intelligence collective » comme le disait Pierre Levy . Il n’est donc pas trop tard pour faire des TIC, de l’internet en particulier un espace citoyen, un terreau fertile de transmission de la connaissance et de l’héritage de nos vaillants soufis. Sans compter que le web peut aider à conquérir démocratiquement un pouvoir mais aussi à gouverner et à administrer en toute transparence. 

Comme disent les italiens « Abbiamo voluto la bicicletta e adesso pedaliamo» (nous voulions la bicyclette, pédalons à présent). Nous avons toujours eu des sages qui nous ont transmis des valeurs d’éthique, de morale et de citoyenneté. Nous avons aujourd’hui des outils qui peuvent nous permettre de mieux nous connaitre, de nous apprécier, de travailler et de nous développer ensemble. Il nous reste alors à œuvrer pour le développement de notre pays par le travail à quelque station que nous nous trouvons. Mais il nous faut surtout, assainir nos relations avec nos voisins de quelque obédience qu’ils soient. Nos voisins dans l'espace géographique, nos voisins dans l'espace professionnel, nos voisins dans l’espace politique et nos voisins dans l'espace public numérique. Niou « tapé khole yi (unissons les coeur) » comme dirait Mame Abdou. 

Ce n'est qu'en y mettant cette envie, cette volonté de respecter les règles de la république, et cet amour du prochain, bref cette éthique doublée de citoyenneté que nous arrivons à ce développement inclusif, global et durable. En vérité, « Dieu ne changera pas notre sort, tant nous n’aurons pas décidé de le changer nous-mêmes. » Inna la ha la youkhayirou ma bi khawmine khata you khayirou ma bi anfousihim (Coran 13.11). 

Tivaouane 10/12/2016